Accepter nos pertes, en sortir grandi : les deuils du quotidien

Ces temps extra-ordinaires sont source de déceptions, tristesse, colère, frustrations inévitables.

D’abord, identifier ses émotions.

Pourrons-nous rattraper tout ce que le confinement nous empêche de vivre ? Un espoir entretenu par ces paroles qui se veulent consolatrices : “On fêtera ton anniversaire plus tard, vous partirez en voyage de noces l’an prochain, vous verrez plus souvent vos parents à l’automne.” Autant d’allégations qui peuvent faire croire que nous ne vivons pas de pertes, et qu’il suffirait de “mettre les bouchées doubles” pour aller mieux après ces semaines de privations diverses.

Il n’en est rien, et l’accueillir peut nous aider à passer du déni à un chemin de deuil, ou de la colère à l’apaisement. C’est ce que Jean Monbourquette nomme, dans Aimer, perdre et grandir(Ed. Bayard), les mini-pertes du quotidien. Ainsi ce contrat qui ne peut être signé, votre adolescent qui refuse de ranger, ce mal de dos qui vous rappelle que votre corps vieillit, cet achat jamais livré par la poste… Autant de tracas source de stress, tristesse, frustration ou colère, dans un mélange pénible d’émotions… Non, vous n’êtes pas juste “de mauvaise humeur”, vous vivez les émotions liées à un deuil. Les adolescents le disent d’ailleurs très bien, avec leur sens lapidaire de la formule : “retourner au collège en mai, c’est mort” – A remplacer au choix par : ranger ma chambre, arrêter un jeu vidéo , passer l’aspirateur… Lapidaire ET éducatif : si c’est “mort”, pas la peine de s’accrocher à des mirages…

Cesser d’être victime des événements

Découvrir et pouvoir nommer ce que vous vivez lui donne du sens et fait passer du “pourquoi cette difficulté ?” à “pour quoi cette difficulté ?”. Cet espace minime sur la feuille permet de prendre de la distance, ne plus être victime des événements et, à la suite de Victor Frankl (Ed. J’ai Lu), de chercher à donner du sens à ce que je vis dans cette période si étrange. Que peut-on qualifier de petit deuil ? “Il n’est pas nécessaire d’avoir perdu des êtres chers ou des biens précieux pour se sentir en situation de perte et entrer dans la résolution d’un petit deuil. […] Comme tout être vivant, tu ne peux pas échapper à la souffrance causée par les pertes de la vie : pertes prévisibles, pertes inattendues : pertes que tu t’imposes pour évoluer, pertes imposées contre ta volonté. Par contre, chacune de tes pertes peut se transformer en gain grâce à ton attitude intérieure. Chacune est susceptible d’engendrer une vie nouvelle. La raison d’être de la mort, c’est de faire de la place à la vie” […].

Traverser les mini-deuils du quotidien

Jean Monbourquette nous propose de relire nos frustrations en y associant les étapes du deuil. Cela permet de trouver une issue à ce qui risque de me gâcher ma semaine si je le ressasse.

“Prenons comme exemple un rendez-vous raté. Vous arrivez trop tard à la gare pour rencontrer un ami avant son départ. Le train s’ébranle et vous n’avez pas pu lui faire vos adieux. Voici un scénario de réactions naturelles :

Choc et négation : ‘Ah non, je ne peux pas croire que je l’ai manqué.’

Culpabilité : ‘J’aurais dû quitter mon travail plus tôt.’

Colère : ‘Si au moins les agents de circulation faisaient leur travail !’

Tristesse : ‘J’aurais tellement voulu lui parler.’

Sens de la perte : ‘Ça m’apprendra à partir à temps.’

Pardon : ‘Il me pardonnera sûrement.’

Paix : ‘Je lui téléphonerai pour m’excuser’.”

Pour ceux qui ont connu les désagréments de grèves de transport cet hiver en France, comment avez-vous réagi ? Quelles émotions avez-vous éprouvés ? Avez-vous conscience que c’était peut-être un deuil que vous étiez amené à vivre ? Sauriez-vous en trouver le sens ?

Le deuil est intime, chacun de nous est unique et vivra ces étapes à sa façon. “Tu ne vivras pas tes émotions et sentiments selon une séquence précise. Rappelle-toi que les émotions sont ‘mouvantes’ et passagères. Si tu te permets de les exprimer, elles s’évanouiront et feront place à plus de paix en toi. Il se peut que tu restes ‘accroché’ à une émotion : tu devras alors plonger en toi pour découvrir le courant émotionnel plus profond qui ne trouve pas sa voie d’expression. Voici des exemples du phénomène de ‘trafic d’émotions’ : une colère persistante peut cacher une tristesse qui ne peut s’exprimer. Le contraire est aussi vrai : une tristesse tenace peut se nourrir d’une colère que l’on ne se permet pas de dire. […] La culpabibilté obsessive pourrait puiser son énergie à une rage tournée contre soi.”

Savoir que d’autres personnes vivent de vrais drames peut nous inciter à nier notre tristesse, à ne pas nous autoriser à nous plaindre. Cependant, minimiser notre souffrance risque de transformer en maladie – mal-à-dit – ce que nous n’avons pas osé nommer. Jean Monbourquette (“Aimer, perdre et grandir”) le confirme, “les émotions que nous ne nommons pas s’impriment“. Et si nous prenions le temps de nous donner un peu d’empathie, de vivre à notre rythme des étapes de nos petits deuils et d’en sortir apaisés pour nous décentrer et prendre soin des autres ?