Interview dans Zélie en avril 2016
Quel est le point commun entre une perfectionniste, une narcissique, une orgueilleuse, une séductrice ou encore une coupable obsessionnelle, une anxieuse ou une angoissée ? Une mésestime de soi, qui empêche de devenir soi-même et de réaliser sa mission personnelle.
La recherche d’une meilleure estime de soi est-elle reflet de notre société nombriliste ? Un outil de domination ou bien aussi un moyen de gagner en liberté intérieure et d’être artisan de paix ?
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En s’appuyant sur l’approche du psychologue et prêtre canadien Jean Monbourquette, pourquoi ne pas mettre au rebut, en guise de ménage de printemps, nos anciennes façons de nous juger, pour nous aimer plus ? Ce qui n’est pas un objectif, mais un moyen, en cette année de la Miséricorde, pour vous laisser réconcilier avec toutes les parties de vous-même, et disposer de votre vie suivant les inclinaisons de votre être profond, au lieu de suivre les diktats de votre moi social.
Une basse estime de soi serait il une caractéristique plutôt féminine ? Déterminisme de genre ou modestie mal comprise, que celle qui n’a jamais prévenu que le dessert qu’elle a cuisiné est « sûrement raté », ou attendu trop de temps pour parler d’augmentation à son chef jette le premier commentaire ! Et sans compter les corvées acceptées – tout en étant déterminée à refuser -, ou ce succès universitaire dû « à la chance aux examens, ou à la neuvaine de (votre) grand mère ». Et pourtant, au collège, c’est bien vous qui leviez le doigt deux fois plus vite que les garçons ?
Alors, si ce portrait vous ressemble, il faut agir ! Contrairement aux idées reçues, ce travail dépend de vous, pas du changement d’attitude de votre entourage. En effet l’estime de soi est « l’ensemble des jugements valorisants ou dévalorisants qu’une personne se donne tant pour sa personne (je suis aimable) que pour sa compétence (je suis capable). Toutes deux sont nécessaires et il importe de trouver un juste équilibre entre les deux. » (1)
Pour Jean Monbourquette, une bonne estime de soi pour sa personne commence par se reconnaître le droit de vivre, être conscient d’être une personne unique et irremplaçable, accepter tous les aspects de sa personne sans les censurer ni les nier, se considérer aimé et s’aimer soi-même. L’estime de soi pour sa compétence se manifeste ainsi : croire en sa capacité d’apprendre, accepter son niveau de compétence sans se comparer à d’autres, savoir se valoriser à la suite de ses succès, même petits ; chercher sa mission et voir à la réaliser.
Travailler sur son estime de soi permet un plus juste positionnement par rapport aux autres : si je m’aime, je ne mendie plus amour ou reconnaissance, j’accepte les compliments, j’ose faire une demande, refuser de me soumettre… et je peux accueillir l’amour de Dieu. Ce fut l’expérience bouleversante de Madeleine, 26 ans, venue à un atelier d’estime de soi « parce qu’elle se [détestait] ». Dès le premier jour, elle put parler de sa crainte de l’enfer qui la paralysait et eut la révélation de l’amour inconditionnel du Christ en croix pour elle. Cela lui permît de poser des choix de vie et de s’accepter avec ses qualités (qu’elle niait) et ses limites (qu’elle détestait).
L’affirmation de soi est en effet la manifestation extérieure d’une juste estime de soi. Un autre fruit en est la réconciliation avec nous-même. Reprenant le schéma de la personnalité de Jung, le travail d’estime de soi se poursuit avec l’estime du Soi, c’est à dire de notre âme habitée par le divin. Comment en effet se contenter d’une dimension uniquement psychologique, et se priver de la grâce ? En effet, loin de s’opposer, psychologie et spiritualité peuvent se rejoindre. Pour Jean Monbourquette, la grande maladie du XXIe siècle, c’est la perte de l’âme. Il ressent l’urgence de remettre de la spiritualité dans un monde désorienté, car quand on néglige son âme, on voit apparaître toutes sortes de symptômes, dont la perte d’un sens à la vie.
A la suite de Jung, Monbourquette propose de passer de l’influence de l’ego à celle du Soi, en s’appuyant justement sur un ego fortifié, favorisant l’action et rendant capable de gérer les réalités quotidiennes. Cela permet de distinguer les moments ou l’on doit agir d’une manière volontaire et ceux on l’on doit s’abandonner à la force du Soi. C’est le cas de la lutte contre des dépendances ou du travail de réintégration de nos ombres. « C’est pourquoi je vous le dis, tout ce que vous demanderez en priant, croyez que vous l’avez déjà reçu, et cela vous sera accordé. » (Marc 11, 24). Laisser la grâce agir, c’est lui permettre de nous réconcilier avec les cotés obscurs de notre personnalité, les parts de nous-même que nous avons refoulées pour nous conformer à l’attente de notre entourage.
Faire ce chemin de l’estime de soi à l’estime du Soi , c’est cesser de chercher à être parfait pour apprendre à se compléter, et à s’ouvrir à la grâce. •
(1) Jean Monbourquette, De l’estime de soi à l’estime du soi (éditions Bayard).
Qui est Jean Monbourquette ?
Jean Monbourquette (1933-2011) était prêtre, psychologue et professeur d’université à Ottawa. Il a exploré les écoles de psychologie contemporaine. Mal à l’aise avec les théories de Freud, il se situe dans la lignée de Jung, en proposant une approche de l’homme qui prend en compte psychologie et spiritualité. Il a écrit de nombreux livres dont les plus célèbres sont Aimer, perdre et grandir, Comment pardonner ?, Apprivoiser son ombre, A chacun sa mission ou encore De l’estime de soi à l’estime du Soi. L’association Estimame poursuit aujourd’hui sa mission de donner à l’âme sa place en psychologie.
Faire un compliment à quelqu’un qui n’a pas une bonne estime de soi
Pas facile de faire un compliment aux gens qui les refusent, ne vous croient pas ou se dévalorisent continuellement ; c’est décourageant et donne envie d’arrêter alors qu’ils en ont tant besoin, justement !
Un compliment est subjectif, il vous engage, et c’est ce qui fait sa valeur : alors, même si la formulation n’est pas très élégante : commencez par « Je trouve… » , appuyez vous sur un exemple précis, ne comparez pas, et soyez court. « Je te trouve très patiente d’avoir conduit une heure dans les bouchons sans t’énerver » est ainsi plus facile à accepter que « Tu conduis très bien. » De même, « J’aime beaucoup ta coiffure » remplacera avantageusement « Tu as meilleure mine que hier » ou « Tu es ravissante. »
Pour un enfant ? Le plus beaux des cadeaux est de l’aider à s’autoriser à être fier de lui et à accueillir ses sentiments sans les prendre pour de l’orgueil. « Tu dois être heureuse d’avoir réussi tes maths», « Tu peux être fier d’avoir mis le couvert sans que je le demande » ou encore « Tu peux te réjouir d’avoir de si jolis yeux. »
Quelques exercices pour augmenter l’estime de soi
1 La boîte à caresses : prenez une jolie petite boîte, remplissez-la de 20 papiers. Sur chacun vous aurez écrit une belle chose qui vous fait du bien et que vous pouvez réaliser dans une journée ordinaire. Chaque matin, prenez un papier.
2 Observez vos dialogues intérieurs dans les situations de stress. Identifiez les paroles négatives que vous vous dites et habituez-vous à les remplacer par des paroles encourageantes ou valorisantes.
3 Vous avez peur d’être submergée par une émotion ? Accueillez-la en la nommant. Dites vous : « Je ressens de la colère, mais je ne suis pas ma colère. »
4 Faites la liste de vos projets. Rayez ce qui ne dépend pas de vous.
5 Entraînez-vous à refuser avec courtoisie : accueillez la personne, mais dites non à la demande. « Je comprends que tu aurais besoin qu’on garde tes enfants, je ne peux pas le faire, si tu veux j’ai une liste de baby-sitters. »
B. D.
Article paru dans Zélie n°8 (Avril 2016) – Crédit photo Kaboompics cc